Réalisateur : Henri-Georges Clouzot
Scénario, Adaptation & Dialogue : Henri-Georges Clouzot
Acteurs Principaux : Pablo Picasso
Genre : Documentaire. Sortie : 1956
Ayant droit : Gaumont
L’histoire : « On donnerait cher pour savoir ce qu’il s’est passé dans la tête de Rimbaud pendant qu’il écrivait le Bateau ivre… » Tels furent les premiers mots d’Henri-Georges Clouzot pour commenter Le Mystère Picasso.
Ce film donne à voir l’exécution par Pablo Picasso de dessins et de tableaux, au moyen d’un procédé technique innovant qui se propose de lever le voile sur le mystère de la création de l’artiste.
Au printemps 1955, Picasso fait part d’une récente découverte à Clouzot : des feutres-pinceaux inventés par un graveur américain, trempés dans des encres spéciales.
Ces feutres et encres ont la propriété de traverser le papier sans baver et d’inscrire au verso les traits exacts dessinés au recto. Clouzot décide alors de filmer, non pas Picasso en train de créer, mais sa création elle-même, débarrassée de l’outil et de la main du peintre.
La caméra de Clouzot, cadrant la toile (un papier calque) du côté opposé à celui de Picasso restitue au public le geste artistique en transparence et, par là même, le cheminement de la pensée du créateur à l’œuvre. Puis, le film passe à la couleur : peintures à l’huile, plus classique, filmées en cinémascope image par image.
Lorsque Picasso peint à l’huile, la technique est différente. Clouzot place sa caméra derrière le peintre et photographie la toile à chaque évolution, tandis que Picasso s’écarte. Pour suivre fidèlement les proportions des toiles, le format de tournage s’adapte.
Ainsi, le film sera le seul à employer successivement le noir et blanc et la couleur, et deux formats (1,66 et scope). Parallèlement, la bande sonore suit la même évolution : on n’entend d’abord que le crissement du feutre sur le support papier ; puis ce sont des mesures de guitares ou des solos de batterie évoluant jusqu’à la plénitude de l’orchestration de Georges Auric accompagnant l’œuvre en phase d’achèvement.
Extrait de dialogue :
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Picasso : ça va mal, ça va très mal, ça va très très mal. Tu t’inquiètes hein ?
Tu as tort de t’inquiéter parce que ça peut finir encore beaucoup plus mal. Pourquoi tu fais cette tête-là ? Tu voulais du drame, et bien tu l’as ! -
Clouzot : à la fin du film c’est embêtant.
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Picasso : Pourquoi ?
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Clouzot : Pour le public.
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Picasso : je ne me suis jamais occupé du Public, je ne vais pas commencer maintenant à mon âge. Et puis au fond, c’est ça que je veux montrer…la vérité surprise au fond du puit
LE CONTEXTE DU FILM
En 1950 déjà, Clouzot se déclare las des scenarii conventionnels, des vieilles recettes, s’avoue tenté par le genre documentaire propre selon lui à produire une forme de naturel et de pureté cinématographique. Son intention est de filmer son voyage de noce avec Véra. Le projet s’intitule « Brasil ».
« Le film que je ferai sera un journal intime. Je tiendrai, en tournant, mon journal de voyage. Il n’est pas question une seconde, dans le film que je vais tourner au Brésil, de « sténographie visuelle ». Mon film aura un coté affectif. Je mentirais si je ne faisais pas un film passionnel et on n’écrit pas un journal intime en mentant… »
« Je suis comme l’écrivain qui va écrire un livre dont il ne connaît ni le plan, ni le premier mot de l’histoire. Encore l’écrivain bénéficie-t-il d’une langue précise, d’une syntaxe. Moi, je n’ai rien. Il faut que j’invente au fur et à mesure ». C’est cet inconnu, ce geste artistique que Clouzot filme patiemment derrière la chevalet de Picasso cinq ans plus tard. Le suspense tient à l’œuvre en devenir dont personne, ni même le génie qui la façonne, ne sait rien au départ.
« Brasil », hormis ses quinze premières minutes, ne sera jamais tourné, faute pour Clouzot d’obtenir les autorisations requises au Brésil. Le voyage de noce aura lieu et durera un an, éveillant Clouzot Henri-Georges Clouzot à la politique, l’injustice sociale, l’entraînant dans son « virage à gauche » qui débouche sur son désir d’adapter « Le Coup de Lune » de Georges Simenon sur l’Afrique Equatoriale ou « La Mort en fraude » de Jean Hougnon sur la guerre d’Indochine.
Il sera victime d’un double véto : « mon optique des évènements d’Afrique et d’Asie n’était pas strictement conformes à la doctrine officielle ».
Picasso propose à Clouzot de lui écrire un scénario. Il se fait alors recadrer par le cinéaste qui lui explique qu’il est préférable que chacun reste à sa place et que c’est la rencontre entre eux qui l’intéresse, et non la substitution de leur talents respectifs.
De juillet à septembre 1955, alors que Christian Jaque s’apprête à tourner « Si tous les gars du monde » sur le scénario original de Clouzot qui a renoncé à faire le film, ce dernier retrouve Picasso tous les jours durant huit heures aux studios de La Victorine, à Nice. Au début, l’idée de Clouzot est de tourner un court métrage de dix minutes. Mais au bout de huit jours, la matière est tellement riche qu’il songe à une série de courts métrages.
Au bout de trois mois de tournage, Clouzot se trouve en possession d’un métrage impressionnant. Il répugne à fragmenter une matière aussi dense. Finalement, il sera donc d’un long métrage de 77 minutes.
Son genre particulier limitera forcément son audience. Mais les vrais amateurs se réjouiront tous de ce document unique dans les annales du cinéma mondial
REVUE DE PRESSE
par Henri-Georges Clouzot – l’Express – 1953
« La censure qui sévit aujourd’hui en France est infiniment dangereuse pour tous parce qu’elle est sournoise et presque clandestine. (…) Le troupeau de moutons qui suit aveuglément le berger s’engage et quelque fois, sur une drôle de route, une route qui mène à l’abattoir (…) »
« Le mystère Picasso » résulte donc d’un concours de circonstances : le temps et l’amitié. La rencontre entre Clouzot et Picasso est de 30 ans antérieure au film. Dès le milieu des années 20, Clouzot, âgé de 18 ans, s’installe à Paris et suit son oncle Henri – un grand esthète, premier importateur de ce qui s’appela alors « L’Art nègre » – dans les cercles d’artistes, où il rencontre Picasso et se lie avec lui. Le projet d’une collaboration sera évoqué pour la première fois en 1952.
« C’est une bonne idée, il faudra en reparler » répond Picasso quand Clouzot lui expose l’idée de « faire un film ensemble ».
Le projet ne sera remis sur le tapis que trois ans plus tard, une période où Clouzot se toque de peindre dans l’atelier qu’il s’est aménagé dans sa maison de Saint-Paul de Vence et où il n’hésite pas à présenter ses toiles à Braque, puis à Picasso, à Nîmes, juste avant une corrida :
« Tes bouteilles, elles ne s’aiment pas. Il faut qu’elles s’aiment. Si tu veux apprendre à dessiner, tu regardes ton sujet, tu fermes les yeux, tu fais ton dessin. Tu ne dessines pas en regardant. Tu regardes après ». Picasso
ANECDOTES LORS DU TOURNAGE
Les toiles ont disparu, seuls quelques dessins se trouvent au musée Picasso.
Celui-ci avait tout récupéré après le tournage pour entreposer ses souvenirs dans sa villa cannoise. Peu de temps après, le chat de Picasso avait tout saccagé…heureusement il reste le film.
RECOMPENSES ET DISTINCTIONS
1956 : Prix spécial du Jury au Festival de Cannes
LeFilm fut honoré une seconde fois à Cannes lors d’une séance spéciale pendant le Festival de Cannes 1982.
CRITIQUES
François Truffaut
« Le film d’Henri-Georges Clouzot dépasse tout ce que le cinéma a fait jusqu’ici pour la peinture »
Claude Brulé – Paris Presse
« Film unique. Film admirable. Film qui force, Dieu merci, à prendre parti »
Louis Chauvet
« Ce n’est pas seulement une œuvre révélatrice, curieuse, divertissante. C’est une œuvre capitale pour la connaissance d’un peintre et pour l’avenir même de la peinture »
Jacques Doniol-Valcroze
« Le Mystère Picasso sera peut-être long à s’imposer mais sa trace ne s’effacera pas »
Claude Mauriac – Le Figaro Littéraire
« Magnifiquement servi par Claude Renoir, Henri-Georges Clouzot a fait ici le plus beau film de son œuvre. Bien qu’invisible, sa part personnelle y est aussi grande que celle du peintre. Certes Picasso n’a pas besoin de Clouzot. Mais sans Clouzot, il n’y aurait pas eu de film sur Picasso. Un grand cinéma mis au service d’une grande peinture : nous n’avions jamais vu cela.